La nouvelle clause d’exclusion de l’administration légale
L’objet de cet article consiste à réexaminer cette clause dans le cas particulier où un parent prémourant, séparé de son ex-conjoint, lègue ses biens à leur(s) enfant(s) mineur(s) commun(s) en en confiant la gestion à un tiers administrateur.
L’encadrement de la gestion des biens de l’enfant mineur orphelin suscite de nombreuses réflexions. La situation de l’enfant mineur n’est évidemment pas la même selon que ses deux parents sont décédés ou que l’un d’eux est survivant. Lorsque ses père et mère sont tous deux décédés, une tutelle est ouverte et par hypothèse la mesure est gérée par une ou des personnes autres que ses père et/ou mère. La tutelle concerne tant la personne de l’enfant que la gestion de son patrimoine, même si les textes relatifs à la protection de la personne mineure sont moins précis que ceux qui régissent la protection de la personne majeure placée sous mesure de protection juridique. Ni les conditions de désignation des organes de protection, ni l’étendue de la protection de la personne ne seront ici analysées.
Le présent article a pour objet l’encadrement de la gestion des biens de l’enfant mineur après le décès de l’un de ses parents, situation plus fréquente, qui interroge de plus en plus les parents d’enfants mineurs séparés qui souhaitent exclure leur ex-conjoint de la gestion des biens qu’ils laisseront à leur(s) enfant(s) commun(s).
Une telle exclusion va à l’encontre des règles gouvernant l’autorité parentale puisqu’elle revient à empêcher un parent d’être administrateur desdits biens alors que la loi lui confère cette prérogative.
En effet, l’article 382 du Code civil prévoit que celui des parents qui exerce l’autorité parentale se voit confier l’administration légale des biens de son enfant. C’est donc ce parent qui devrait gérer les biens transmis à son enfant mineur mais il en est empêché car cette gestion est confiée à une autre personne. Non seulement il ne gère pas les biens, mais il est alors exclu du droit d’usufruit légal octroyé par la loi jusqu’à ce que l’enfant ait l’âge de seize ans.
Certes, cette exclusion est parfois justifiée, le parent écarté étant un très mauvais gestionnaire, dilapidant ou ayant dilapidé son patrimoine. Le mettre à l’écart de la gestion des biens de son enfant mineur peut être salvateur pour ce dernier.
L’exclusion du parent prodigue est le moyen de protéger efficacement la fortune, le pécule ou plus généralement le patrimoine de l’enfant mineur. De même, l’absence d’intérêt manifeste de ce parent depuis la naissance de l’enfant pour celui-ci peut justifier une telle exclusion ; rappelons que dans ce cas, au décès du parent qui exerçait seul l’autorité parentale, l’autre se trouve investi seul de l’exercice de cette autorité et donc de l’administration légale des biens de l’enfant. En revanche, d’autres mobiles plus répréhensibles animent parfois ce choix d’exclusion de l’ancien conjoint de la gestion des biens des enfants communs tels que l’envie, la jalousie ou la malveillance.
Cette mise à l’écart du parent survivant est rendue possible par le jeu de mécanismes d’anticipation mis à la disposition du parent qui prédécèdera, mécanismes bien connus du notariat.
Il faut donc un acte de volonté pour exclure son ex-conjoint de la gestion des biens transmis à son enfant mineur après son décès.
Cet acte de volonté du parent prémourant dérogatoire au principe de l’administration légale du parent survivant est admis par le législateur. Il peut trouver sa source en droit des successions avec le mandat à effet posthume ou dans les textes régissant l’autorité parentale avec la clause d’exclusion de l’administration légale. C’est cette clause qui va retenir notre attention car elle a connu une actualité textuelle et jurisprudentielle particulièrement riche. L’ancien article 389-3, alinéa 3, du Code civil a été repris et réécrit par l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille.
Depuis le 1er janvier 2016, l’actuel article 384 du même code dispose dorénavant que « Ne sont pas soumis à l’administration légale les biens donnés ou légués au mineur sous la condition qu’ils soient administrés par un tiers. Le tiers administrateur a les pouvoirs qui lui sont conférés par la donation, le testament ou, à défaut, ceux d’un administrateur légal. Lorsque le tiers administrateur refuse cette fonction ou se trouve dans une des situations prévues aux articles 395 et 396, le juge des tutelles désigne un administrateur ad hoc pour le remplacer ».
Cette nouvelle rédaction n’est pas neutre car elle met un terme à certaines controverses persistantes quant à la nature de l’acte susceptible de contenir une telle clause et sa finalité.
Au-delà de la lettre revue du texte, c’est la réforme opérée par l’ordonnance du 15 octobre 2015 qui va aussi être au cœur de notre réflexion dans la mesure où elle a unifié l’administration légale en supprimant la distinction entre l’administration légale pure et simple et l’administration légale sous contrôle judiciaire depuis le 1er janvier 2016.
Depuis lors, le parent survivant bénéficie d’une liberté d’action sans précédent avec pour seul rempart l’intervention a posteriori du juge des tutelles. Les commentateurs ont très vite dénoncé à juste titre que les mineurs se retrouvaient dotés d’une protection insuffisante, qu’ils étaient moins bien protégés qu’avant. La clause d’exclusion de l’administration légale constitue alors un bon remède si l’on veut éviter que le parent survivant ne se retrouve avec des pouvoirs exorbitants.
Mais encore faut-il être certain du tiers administrateur que l’époux prédécédé aura choisi car à défaut de précision dans le testament qui l’aura désigné, il aura les pouvoirs d’un administrateur légal avec les mêmes dangers.
Ainsi, seront successivement envisagés le domaine de la nouvelle clause d’exclusion de l’administration légale (I), puis les pouvoirs du tiers administrateur (II).
I – Le domaine de la nouvelle clause d’exclusion de l’administration légale
Rappelons que la clause d’exclusion de l’administration légale va aussi concerner le droit de jouissance légale.
L’article 386-4-2° du Code civil (ancien art. 387) précise que la jouissance légale ne s’étend pas aux biens donnés ou légués à l’enfant sous la condition expresse que les parents n’en jouiront pas.
Ainsi, le parent prédécédé peut avoir souhaité coupler les deux clauses et exclure dans son testament l'autre parent de la gestion et de la jouissance des biens transmis.
Mieux, l’article 386-1 du même code (ancien art. 383, al. 2) permet du « deux en un » puisqu’il précise que la jouissance légale est attachée à l’administration légale. La première chambre civile de la Cour de cassation en a justement déduit qu’une clause qui exclut l’ex-conjoint de l’administration légale, le prive aussi de la jouissance légale desdits biens. Au regard de cette jurisprudence, la clause expresse de l’article 386-4-2° du Code civil ne présente d’intérêt que si le parent prédécédé souhaite priver de la seule jouissance légale le parent survivant.
En ce qui concerne la nature de l’acte excluant l’administration légale du parent survivant, il faut un acte de volonté, plus précisément une libéralité : soit une donation, soit pour ce qui nous intéresse, un testament.
Le nouvel article 384 du Code civil n’a fait sur ce point que reprendre l’ancien article 389-3, alinéa 3.
En conséquence, cette exclusion ne peut toujours pas intervenir dans le cadre d’une dévolution successorale légale « puisqu’elle est la condition d’un transfert volontaire à titre gratuit ».
Bien que la première chambre civile de la Cour de cassation ait une vision « large » et contestable de la notion de legs permettant de valider la clause d’exclusion de l’administration légale, il faut encore qu’elle s’inscrive dans le cadre d’une libéralité.
L’exigence d’un acte de volonté va de soi. Il ne faut pas oublier que, par principe, le parent survivant se voit confier par le législateur l’administration des biens de l’enfant mineur. Comme le souligne la nouvelle présentation formelle issue de l’ordonnance du 15 octobre 2015, elle relève de l’autorité parentale ; c’est une partie de l’autorité parentale relativement aux biens de l’enfant (avec la jouissance légale).
Seule une manifestation de volonté contraire de la part du parent prédécédé doit pouvoir priver le parent survivant de cette administration légale. On pourrait alors s’affranchir de la nécessité d’une libéralité, plus particulièrement d’un legs le plus souvent « artificiel ». Pourtant une libéralité pourrait s’avérer utile dans l’hypothèse où l’enfant prédécèderait au parent survivant. Il ne s’agirait alors plus d’exclure ce parent de la gestion des biens transmis à son enfant pendant sa minorité mais d’empêcher la transmission des biens à son profit notamment s’il se trouve être le seul héritier ab intestat de son enfant conformément aux articles 734, 2° et 738-1 du Code civil.
En revanche, il demeure acquis que la clause d’exclusion de l’administration légale peut viser tant la quotité disponible que la réserve héréditaire de l’enfant mineur.
Ainsi le parent survivant peut se retrouver exclu de l’administration légale des biens légués à son enfant mineur alors même que ces biens constituent la réserve de cet enfant.
La rédaction inchangée du nouveau texte rend toujours applicable la jurisprudence de la première chambre civile de la Cour de cassation de 2013 ayant mis fin à cette ancienne controverse.
Enfin, la clause d’exclusion de l’administration légale n’a pas à être justifiée, notamment par l’intérêt de l’enfant, pas même l’intérêt supérieur de l’enfant. Là aussi, le nouvel article 384 du Code civil ne modifie pas la règle posée par l’ancien article 389-3, alinéa 3. La première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 26 juin 2013 avait eu l’occasion de le dire fermement en cassant un arrêt d’appel qui avait exigé que la clause soit conforme à l’intérêt de l’enfant : l’arrêt est cassé pour violation de la loi car les juges du fond ont ajouté une condition non prévue par le texte.
C’est bien là l’une des grandes différences qui subsiste entre cette clause et le mandat à effet posthume qui doit lui être justifié par « un intérêt sérieux et légitime au regard de la personne de l’héritier ou du patrimoine successoral, précisément motivé ».
Ceci étant dit, au vu des nouvelles règles organisant l’administration légale du parent survivant, la clause d’exclusion de l’administration légale peut constituer une bonne mesure de protection des intérêts du mineur. Ce, d’autant que le parent survivant dispose désormais de moyens d’action en cas de défaillance du tiers administrateur.
II – Les pouvoirs du tiers administrateur
Le tiers administrateur est désigné par acte testamentaire émanant d’un parent prémourant. En pratique, il s’agit plus souvent d’un autre membre de la famille plutôt qu’un professionnel : le testateur désigne un de ses parents (père, mère, frère ou sœur) ou son conjoint actuel surtout si celui-ci s’occupe activement de l’enfant mineur.
L’article 384 du Code civil a maintenu le singulier pour désigner le tiers administrateur. La règle est simple : en ne désignant qu’une seule personne, la gestion est exclusive et la cogestion écartée.
Mais la liberté testamentaire qui s’écarte de la voie de l’administration légale ne pourrait-elle pas envisager plusieurs administrateurs légaux : un principal et un adjoint, ou des coadministrateurs, ce qui pourrait susciter des difficultés que connaissent les juges des tutelles. Cette lecture du texte n’est pas à exclure dès lors que l’ordonnance du 15 octobre 2015 a choisi de désigner l’administrateur légal au singulier pour ne plus distinguer selon que les biens de l’enfant sont gérés par ses deux parents ou l’un d’eux seulement.
Comme avant, l’étendue des pouvoirs du tiers administrateur dépend de la volonté du parent prédécédé. Il a toute liberté pour lui conférer de larges pouvoirs dans son testament. À défaut de volonté exprimée, le tiers administrateur a les pouvoirs d’un administrateur légal.
Au vu de la réforme de l’administration légale opérée par l’ordonnance du 15 octobre 2015, il ne sera pas forcément utile d’accroître ses pouvoirs déjà très importants. Si le testateur décidait toutefois de lui accorder de plus amples pouvoirs, il pourrait lui permettre de faire seul des actes normalement soumis à l’autorisation préalable du juge des tutelles. En revanche, il ne pourra pas avoir le pouvoir d’accomplir des actes interdits à l’administrateur légal même avec une autorisation judiciaire.
Ces interdits posés par le législateur valent pour tout administrateur des biens d’un enfant mineur car ce sont des actes excessivement dangereux et par principe préjudiciables à celui-ci. Ils relèvent de l’ordre public de protection des intérêts du mineur. Ainsi, ils constituent une limite d’ordre public au pouvoir de la volonté du parent prémourant.
La grande innovation en la matière opérée par la réforme issue de l’ordonnance du 15 octobre 2015 est l’organisation de la fonction de tiers administrateur.
Si l’ancien article 389-3, alinéa 3, ne prévoyait rien à ce sujet, le nouvel article 384, alinéa 3, précise que le tiers administrateur peut refuser la fonction ou se trouver dans une des situations relevant des articles 395 et 396 du Code civil.
Dans ces divers cas, le juge des tutelles désigne un administrateur ad hoc pour le remplacer.
Ainsi, l’ordonnance s’est en partie inspirée du régime des charges tutélaires en appliquant au tiers administrateur les articles 395 et 396 du Code civil relatifs aux conditions d’exercice de la tutelle et au retrait de la charge tutélaire.
En revanche, alors que la charge tutélaire est un devoir des familles, le tiers administrateur peut lui refuser de gérer les biens de l’enfant mineur.
Cette nouvelle rédaction suscite toutefois une difficulté : On avait coutume de conseiller au rédacteur de la libéralité de désigner un administrateur de substitution, un suppléant, en cas de prédécès ou d’incapacité.
Le peut-il encore maintenant que le texte prévoit expressément la désignation par le juge des tutelles d’un administrateur ad hoc pour le remplacer ? Faut-il y voir un nouveau frein au pouvoir de la volonté du parent prémourant ? Le texte ne laisse guère de place pour un suppléant et semble imposer le recours au juge des tutelles dans de nombreux cas, l’article 396 du Code civil permettant le remplacement de l’administrateur « en cas de changement important dans sa situation ».
En outre, le parent survivant exclu de la gestion des biens légués à son enfant mineur ne manquera pas de saisir le juge des tutelles de toute difficulté afin d’obtenir la désignation d’un administrateur ad hoc.
À ce sujet, si le tiers administrateur a les pouvoirs d’un administrateur légal, il sera soumis au nouvel article 387-3 du Code civil qui permettra aussi à ce parent exclu de l’administration légale des biens transmis à son enfant de saisir le juge des tutelles pour qu’il soumette à son autorisation préalable un ou plusieurs actes de disposition du tiers administrateur s’il considère que ce dernier réalise des actes ou des omissions qui compromettent manifestement et substantiellement les intérêts patrimoniaux du mineur ou s’il estime avoir connaissance d’une situation de nature à porter un préjudice grave à ceux-ci.
Le juge des tutelles pourra alors exercer un véritable contrôle de la gestion du tiers administrateur qui peut en outre être tenu chaque année de réaliser un inventaire actualisé du patrimoine du mineur et de rendre compte de sa gestion.
Autant de contre-pouvoirs que ne manquera pas d’utiliser le parent exclu.
En définitive, la nouvelle clause d’exclusion de l’administration légale semble assurer un bon équilibre entre d’une part les droits du parent prémourant, dont la volonté d’exclure l’ex-conjoint de la gestion des biens qu’il transmet à l’enfant mineur commun est largement prise en compte, ceux du tiers administrateur qui conserve une large liberté d’action et d’autre part ceux du parent survivant qui dispose de nouveaux moyens d’action pour réagir en cas de mauvaise gestion du tiers administrateur. Tout cela dans l’intérêt de l’enfant.
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